En juin dernier, j’ai été invité 2 jours par l’ESA au salon du Bourget pour partager l’événement sur les réseaux sociaux. Si j’ai passé la majeure partie de mon temps dans le pavillon de l’agence européenne, j’ai aussi parcouru les autres stands, et notamment celui de l’ONERA où j’ai pu discuter d’études en cours sur les lanceurs réutilisables. J’ai depuis un peu creusé le sujet, et la France a quelques projets en stock.
Le CNES et l’ONERA : une coopération régulière
On compare souvent la NASA, l’agence spatiale américaine, au CNES en France, le Centre National d’Études Spatiales. La réalité est, on peut s’en douter, plus complexe. Une des raisons derrière cette complexité est la situation européenne, qui est par essence plus complexe qu’au États-Unis, en raison du nombre important d’acteurs rassemblés autour d’une même entité, l’Agence Spatiale Européenne (ESA) tout en gardant des agences nationales. Un autre élément à prendre en compte, c’est la taille de la NASA : l’agence est gigantesque, et regroupe des missions extrêmement variées. En France, ces mêmes missions sont plus ou moins divisées en deux agences : le CNES d’une part, et l’ONERA d’autre part.
L’ONERA, l’Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales, soutient l’industrie aérospatiale par la recherche et l’innovation. Les clients de l’ONERA sont très variés : des industriels tels que Thalès ou Airbus, ou de plus petites entreprises, bénéficient de son expertise, mais aussi des organismes publics (le CNES ou l’ESA par exemple) ou encore, tout simplement, la direction générale de l’armement (DGA), dont une des missions est d’équiper les forces armées. Les domaines d’études à l’ONERA sont variés, et ne sont pas tous directement liés au domaine spatial.

L’ONERA et le CNES travaille souvent en coopération, sur différents domaines. Si le CNES emploie de nombreux ingénieurs, l’agence française fait régulièrement appel à l’ONERA pour certaines études, ou même parfois pour participer à la réalisation de certains équipements. Par exemple, sur le satellite Microscope du CNES qui visait à éprouver le principe d’équivalence, l’instrument de mesure T-Sage a été étudié et réalisé par l’ONERA. C’est cet instrument qui a permis les mesures qui vérifient avec une précision augmentée le principe d’équivalence : c’est la charge utile du satellite, sans laquelle la mission n’aurait pas de sens. Le CNES et l’ONERA ont aussi travaillé conjointement sur des concepts de lanceurs réutilisables.
Altair et Eole : pour les petits satellites
Ce sera sans doute l’objet d’un article futur, mais le marché des satellites miniaturisés est en pleine croissance. Leur nombre est en croissance d’année en année, et les possibilités pour les mettre en orbite sont de plus en plus nombreuses. Certains cube-sats peuvent être largués depuis l’ISS; la fusée Electron de RocketLab a réussi son lancement et sa mise sur orbite du 21 janvier 2018; l’Inde a récemment mis plus de 100 satellites en orbite en un seul lancement et tous sauf un avaient un poids inférieur à 10 kg. Si cela ne remet pas en cause l’existence et l’utilité de satellites massifs et imposants, cela ouvre de nouvelles opportunités pour de nombreux acteurs, comme les étudiants et leurs cubesats ou les agences spatiales avec des satellites de taille plus modeste. Et pour les placer sur orbite, il peut être intéressant d’avoir des lanceurs dédiés, plutôt que de les greffer à des lanceurs lourds affrétés pour d’autres satellites, ou les envoyer sur l’ISS pour qu’ils soient largués depuis la station.

C’est ce que compte proposer RocketLab par exemple, avec sa fusée Electron, mentionnée précédemment : elle devrait pouvoir placer plus de 150kg en orbite basse hélio-synchrone (500 km d’altitude pour un tir nominal), ce qui est ce vers quoi se tourne le marché des satellites miniaturisés. Parmi les lanceurs adaptés aux satellites de petite taille, la fusée Pegasus de la société Orbital ATK, qui produit aussi les vaisseau Cygnus de ravitaillement de l’ISS, est en mesure de placer plus de 400 kg en orbite basse terrestre (par comparaison, les satellites Sentinel pèsent plus d’une tonne, les satellites GPS dans leur version actuelle pèsent 1,6 tonnes et les satellites Galileo pèse plus de 650kg et ne logent pas sous la coiffe de la fusée Pegasus). Si la fusée Electron décolle à la verticale depuis un pas de tir en Nouvelle-Zélande, les décollages de fusées Pegasus sont plus originaux : la fusée est placée sous un avion, qui emmène la fusée en altitude, avant de la lâcher à l’horizontale. Après quelques secondes de chute libre, la fusée s’allume, et grimpe ensuite en orbite (j’en avais parlé il y a quelques mois dans un article à retrouver ici).

L’ONERA a travaillé sur un lanceur au concept assez similaire : larguer une fusée depuis un avion. Là encore, l’objectif est de pouvoir placer en orbite basse terrestre (entre 400 km et 1000 km d’altitude) des charges légères, de moins de 150 kg. Ce projet, Altaïr, fait partie de l’initiative européenne H2020 (pour horizon 2020), et vise à étudier la faisabilité du lancement à bas coût et à échelle industrielle de petits satellites. Contrairement à la fusée Pégasus, lancée depuis un avion de ligne modifié (un Lockheed L-1011), Altaïr concerne le développement d’un drone spécialement conçu pour ce besoin, et réutilisable, ainsi que d’une fusée, larguée par le drone, qui ne sera pas réutilisable. C’est d’ailleurs ce qu’indique le nom de projet, Altaïr : Air Launch space Transportation using an Automated aircraft and Innovative Rocket (Lanceur Aérien d’un moyen de Transport spatial utilisant un avion Automatique et une Fusée Innovante). Le drone a été étudié et conçu notamment par l’ONERA, et la fusée ainsi que le système de largage a permis d’impliquer les équipes du programme étudiant du CNES, Perseus.

Le drone utilisé dans le cadre du projet Altaïr devrait avoir une envergure d’une trentaine de mètres environ. Pour tester les différentes technologies, les équipes ont travaillé sur un modèle à échelle réduite : le démonstrateur Éole a une envergure d’un peu moins de 7 m et a déjà effectué différentes essais. Le projet Altaïr a été annoncé fin 2015, dans le cadre de H2020, qui est le programme de recherche européen sur la période 2016-2020 et devait durer 36 mois. Le budget total du projet est de 4 millions d’euros pour, à terme, détailler le système complet (drone, lanceur et segment sol) ainsi qu’une trajectoire pour que ce système de lancement puisse être industrialisé.

Suivant les résultats de l’étude, et les décisions qui en découle, cela pourrait permettre de doter l’Europe d’un moyen de lancer des satellites miniatures à très bas coût d’ici plusieurs années. A voir ce que cela donnera dans le futur. Il s’agit en tout cas d’une étude de lanceur semi-réutilisable (le drone étant conçu pour être réutilisé), pour le lancement de petits satellites.
Des études sur la faisabilité d’un retour de premier étage
L’ONERA travaille aussi sur des études sur de la réutilisation pour des lanceurs plus massifs. C’est à ce propos que j’avais pu échanger sur le site de l’ONERA lors du Salon du Bourget, en juin 2017. Contrairement au projet Altaïr, qui vise à développer et tester un système pour une éventuelle production future, le cadre est ici radicalement différent. L’étude de premiers étages réutilisables n’a pas pour l’instant comme objectif la production des modèles étudiés, mais plutôt la collecte de données, et l’étude de faisabilité, de façon à apporter des informations qui seront cruciales dans le futur. Lorsqu’il faudra statuer sur le futur lanceur européen, ces données joueront un rôle important : il faut donc préparer en amont ce choix, en étudiant différentes possibilités.
Trois modèles différents étaient ainsi exposés sur le stand de l’ONERA : un premier étage très semblable aux premiers étages de Falcon 9 de SpaceX, et deux plus exotiques. Chaque modèle correspond à un type de rentrée différent. Cela permet donc d’étudier différents modes de retours sur Terre, de comparer leurs performances et, en anticipant leur coût, permettra de trancher en faveur de l’un de ces concepts (ou non).

Le premier modèle avait pour but d’étudier la procédure dite de Toss-Back, qui consiste à retourner le premier étage et le faire freiner en utilisant son carburant, pour que le premier étage vienne se poser à la verticale sur Terre. C’est exactement le type de retour qui a été mis en place pour la Falcon 9 de SpaceX. Cependant, si l’on sait aujourd’hui que c’est faisable, il est beaucoup plus compliqué de connaître avec précision les forces subies par le lanceur lors de cette manœuvre ou d’évaluer la consommation requise… à moins de ne faire les études. C’est pour cela qu’il était indispensable d’inclure ce modèle à la SpaceX dans l’étude.

Une deuxième méthode pour revenir sur Terre est de planer (en anglais : glider pour planeur). Les moteurs coupés, un premier étage avec une forme adapté peut revenir se poser à l’horizontal, en planant jusqu’au plancher des vaches, exactement comme le faisait la navette spatiale. Pour cela, le modèle présenté était équipé d’ailerons à l’avant et d’ailes un peu plus conséquentes à l’arrière. Contrairement à la forme quasi-cylindrique du premier modèle, une telle forme a probablement un comportement différent lors du lancement, quoique la navette spatiale était bien capable de décoller avec ses boosters. L’avantage d’un tel retour, c’est que cela ne nécessite pas de carburant particulier, qui peut donc être entièrement dédié à la mise en orbite de la charge utile. Cela apporte néanmoins son lot de complications lors de la phase de retour, avec notamment un profil aérodynamique radicalement différent de celui d’un retour Toss-Back.

Enfin, un troisième mode de retour est à l’étude : le vol retour (fly back en anglais). Le profil de ce premier étage est assez similaire à celui étudié pour le retour en planeur, à une différence majeur près : le premier étage a une dérive sur le « haut » (les ailes sont aussi légèrement différentes). Le premier étage fait un peu penser à un avion. Le premier étage est capable de voler, en se propulsant avec ses 4 moteurs dans le nez (avec évacuation sur le dos du premier étage). Ce mode de retour est singulièrement différent des deux précédents, et est assez surprenant à première vue. Il montre en tout cas une partie de l’étendue des études actuellement en cours pour préparer le futur lanceur européen. Et il est probable que d’autres profils soient actuellement à l’étude, moins avancés, ou qui ne sont pour l’instant pas montré.

Ces trois concepts sont encore loin d’être mis en place en Europe, et il reste encore plusieurs points à éclaircir. Du mode de propulsion (carburants ou moteurs utilisés) au matériaux utilisés pour le construire, les études doivent se poursuivre pour préparer le terrain au futur lanceur européen. En effet, si Ariane 6 doit effectuer son premier lancement en 2020, cela ne veut pas dire qu’il ne faut d’ores et déjà penser à la suite, au contraire. D’autant plus que le marché des lanceurs spatiaux va se complexifier dans le futur, avec une concurrence de plus en plus féroce : ces questions sont essentielles dès aujourd’hui, et l’ONERA, avec le CNES et ArianeGroup, commencent déjà à y réfléchir, en considérant notamment la possibilité de réutiliser les premiers étages, avec différentes méthodes de retours. L’Europe doit garder une place de leader dans le domaine spatial, et les études de l’ONERA devrait apporter des informations cruciales pour cela.

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Remerciements : Merci encore à l’ESA pour m’avoir invité au salon du Bourget 2017, et merci aux intervenants sur le stand de l’ONERA pour avoir répondu à mes questions. L’idée de départ de cet article est ce salon du Bourget, et sans cette invitation et cette amabilité sur le stand, cet article n’aurait sans doute pas vu le jour.
Sources :
https://www.onera.fr/sites/default/files/communiques/pdf/2017-06/CP-VA-ALTAIR-021515-va.pdf
https://www.onera.fr/sites/default/files/actualites/breves/Fiche_LANCEURS_VF.pdf
Crédits de l’image de couverture : Onera