L’espace et ses conséquences sur le corps humain

Chaque mois, le troisième mardi, le CNES organise les mardis de l’espace, où des spécialistes viennent discuter d’un thème en lien avec l’espace. Mardi 17 janvier, Michel Tognini, ancien astronaute français, François Spiero, responsable des vols habités au CNES, et Frank Leho, médecin à bord des vols zéroG, discutaient des impacts des vols spatiaux sur le corps humain. Et force est de constater que le corps humain n’est pas adapté à l’espace. Gonflement de la tête, déformation des yeux, diminution de la masse osseuse : nombreuses sont les conséquences de la vie en microgravité.

Des conséquences sans gravité

La vie s’est développée sur Terre depuis des millions d’années. Au fil du temps, l’homme est apparu, s’est déplacé, s’est adapté aux différents environnements. Mais il a toujours subi l’attraction de la Terre : où qu’il soit sur le globe, il ressent toujours plus ou moins la même force exercée par la Terre. Et le corps humain est adapté à cette force de gravité. Tout a tendance à être attiré vers le sol, vers les pieds, dans le cas d’une position normale pour un être humain. Le sang est acheminé assez facilement du cœur vers les pieds, et le corps a développé, au cours des millénaires d’évolution, des mécanismes pour permettre la remontée du sang jusqu’au cerveau. Dans l’espace, en apesanteur, la gravité n’est plus ressentie de la même façon, et la mécanique du corps se dérègle.

Sans gravité pour amener naturellement le sang aux pieds, il se comporte différemment dans l’espace. Le corps étant adapté pour rediriger un maximum le flux sanguin vers la tête pour contrer la gravité, ce phénomène continue d’avoir lieu dans l’espace. Les astronautes mentionnent souvent le fait que leur tête gonfle dans l’espace. Un autre effet de la microgravité qui peut régner dans l’espace est l’agrandissement des astronautes. Sur Terre, à cause de la gravité, le corps humain s’affaisse sur lui-même. Mais il suffit d’une nuit de sommeil, allongé parallèle au sol, pour diminuer la pression sur les disques intervertébraux (coussinets de cartilage entre les vertèbres) et ainsi gagner temporairement quelques centimètres. Si cet effet s’estompe en quelques minutes à peine après s’être levé, ce n’est pas le cas dans l’espace. Lors des missions longues dans l’ISS, d’une durée d’environ 6 mois actuellement, aucune pression n’est exercée sur les coussinets : les astronautes gagnent quelques centimètres en orbite. Ces deux modifications sont néanmoins temporaires et quelques jours après être revenu sur Terre, les astronautes retrouvent leur apparence d’avant leur séjour dans l’espace.

Il y a quelques années, avec l’allongement des durées des séjours dans l’espace, certains astronautes ont commencé à se plaindre de troubles de la vision, alors qu’au contraire d’autres remarquaient une amélioration de leur vision. La NASA s’est penchée sur la question, et a détecté une modification de la forme du globe oculaire des astronautes. Un œil en bonne santé a une forme sphérique, et en face de la pupille se trouve le nerf optique qui achemine les informations jusqu’au cerveau. Dans le cas d’une personne myope ou hypermétrope, l’œil n’est pas sphérique mais légèrement déformé. Dans l’espace, l’œil a tendance à se déformer : l’œil a un renfoncement au niveau du nerf optique, comme si ce dernier exerçait une pression sur l’œil. Ainsi, pour certains astronautes, cette déformation peut compenser une déformation déjà présente, expliquant pourquoi ils y verraient mieux, alors que la majorité des astronautes ont une moins bonne vue après déformation dans l’espace. Les scientifiques ne sont pas encore sûrs de l’origine du phénomène, mais la pression intracrânienne semble y jouer un rôle prépondérant. Le liquide cérébral n’est plus évacué comme sur Terre, en raison notamment de l’absence de gravité, augmentant la pression dans la boite crânienne. Le crâne étant un os très difficilement déformable, cet excès de pression a un impact sur les yeux, seules voies de sortie possibles. Cependant, tous les astronautes ne subissent pas de déformation des yeux, et certains astronautes n’ont qu’un œil de déformé, laissant supposer que la pression intracrânienne n’est pas le seul facteur en jeu. Là encore, les effets semblent disparaître au bout de quelques semaines ou mois après un retour sur Terre. Mais les scientifiques s’interrogent : la déformation a-t-elle un seuil limite ? Est-ce toujours réversible ? Quelle déformation un œil subirait-il dans le cas d’un voyage de 30 mois, comme c’est envisagé pour les voyages vers Mars ? Tant de questions auxquelles il n’existe à ce jour pas de réponse, mais que les agences spatiales étudient avec intérêt.

EyeExperiment
Peggy Whitson examine l’œil de Thomas Pesquet, mesurant notamment la pression. Une activité rendue beaucoup plus compliquée par l’absence de gravité. Crédits : ESA/NASA

Après avoir flotté, il devient difficile de marcher

Le corps humain est en constante reconstruction, ses milliards de cellules sont en renouvellement constant. Elles meurent, et sont remplacées par de jeunes cellules. Mais le corps humain est aussi une merveille d’efficience : le minimum d’énergie doit aboutir au résultat optimal pour la vie. Sur Terre, le squelette subit constamment le poids de l’individu. Il doit donc être particulièrement résistant. Mais dans l’espace, le squelette n’a plus besoin d’être aussi résistant, puisqu’il ne subit plus la même contrainte. Et puisque le squelette, comme le reste du corps, renouvelle en permanence ses cellules, ces dernières se réorganisent différemment, modifient la structure des os, et leur nombre diminue. Lors des premiers voyages dans l’espace, qui duraient relativement peu de temps, cette perte osseuse était assez peu importante. Mais les séjours spatiaux se sont allongés, et la perte de masse osseuse est devenue réellement problématique. En moyenne, les astronautes perdent entre 1% et 2% de leur masse osseuse par mois. Les scientifiques ont même constaté chez certains astronautes une diminution de près de 30% de leur masse osseuse après un séjour de 6 mois dans la station.

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Parmi les expériences que Thomas Pesquet doit mener durant son séjour dans l’ISS, il y a MARES. On le voit ici en train d’installer MARES, une machine permettant de contrôler différents paramètres liés au corps humain. Crédits : ESA/NASA

 

Cette perte de masse osseuse est appelé ostéoporose et touche, sur Terre, les personnes âgées. Après 6 mois passés dans l’espace, des astronautes, personnes généralement athlétiques et dans la fleur de l’âge, reviennent sur Terre avec des os semblables à ceux de personnes âgées. Les os sont alors beaucoup plus fragiles, et les astronautes doivent faire d’autant plus attention qu’ils ne sont plus habitués à subir la gravité lors de leurs déplacements. Cette perte de masse osseuse est d’ailleurs à ajouter à la perte de muscles, pour les mêmes raisons. Il arrive donc que les astronautes ne puissent tenir sur leurs jambes après avoir atterri sur Terre. Bien entendu, le retour sur Terre en Soyouz n’est pas une promenade de santé, et cela impacte probablement les premiers pas sur le plancher des vaches.

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Sergei Ryzhikov aide Thomas Pesquet à se servir de MARES. MARES est une expérience française, développée par le CNES et installé par le 10ème astronaute français dans l’espace. Crédits : ESA/NASA

Pour limiter la perte de masse osseuse et musculaire, les astronautes pratiquent deux heures de sport par jour, pour faire subir quelques contraintes au corps humain malgré l’absence de gravité. Cependant, cela diminue le phénomène mais ne l’empêche pas pour autant. De même, plusieurs médicaments et compléments alimentaires ont été testés, pour forcer la fixation du calcium aux os, sans succès. Et si, dans l’ensemble, il est possible pour les astronautes de regagner en masse musculaire une fois revenu sur Terre, ils ne retrouvent jamais une solidité osseuse comparable à celle qu’ils avaient avant de partir. La densité des os peut retrouver un niveau normal, mais la structures des os s’est modifiée, et cela semble irréversible. Voyager dans l’espace augmente sensiblement les risques de fracture de la hanche avec l’âge.

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L’astronaute Shane Kimbrough durant l’une de ses séances de sport quotidienne. Crédits : ESA/NASA

Le mal de l’espace : pire que le mal de mer

L’absence de gravité a un autre effet sur les astronautes, souvent méconnu : la désorientation. Pour bien comprendre le phénomène, il convient de comprendre comment le cerveau est capable de savoir quelle est l’orientation d’un individu et quelle est la nature de son mouvement. Pour cela, il dispose de plusieurs outils, dont un assez évident : les yeux. En analysant l’image renvoyée par les yeux, le cerveau est plus ou moins capable de comprendre ce qu’il se passe. Le second outil est l’oreille interne. L’oreille interne est, entre autres, composée de trois tubes, un pour chaque dimension de l’espace (canaux vertical, horizontal et postérieur). L’intérieur de ces tubes est tapissé de petits cils. Dans chaque tube se trouve du liquide : l’endolymphe. A chaque mouvement de la tête, le liquide se déplace dans les canaux, en fonction du mouvement de tête : les cils détectent ce déplacement et transmettent l’information au cerveau, qui décrypte le mouvement.

UpsideDown
L’astronaute Clayton Anderson, à droite, et le cosmonaute Oleg Kotov, dans la station spatiale internationale. Qui est à l’endroit, qui est à l’envers? En l’absence de gravité, ces questions n’ont que de peu de sens… Ce qui a tendance à déstabiliser le cerveau. Crédits : NASA

Cependant, le cerveau est capable d’en déduire le mouvement parce qu’il connaît le comportement habituel de ce liquide. Mais dans l’espace, ce comportement change. Le moindre mouvement de tête un peu brusque entraîne un mouvement chaotique de l’endolymphe, qui se déplace dans les canaux, rebondit sur les parois : le cerveau reçoit ces signaux et en déduis que l’individu est en plein mouvement chaotique. Mais l’information renvoyée par les yeux est toute autre : les yeux n’ont détecté qu’un simple mouvement de tête. Le cerveau détecte alors une incohérence, et tente de gérer cette incohérence comme il peut. C’est cette même incohérence qui cause, notamment le mal de mer : les yeux ne détectent pas de mouvement dans la cabine, mais l’oreille interne détecte que le bateau tangue. Et comme lorsque le mal de mer survient, les astronautes ont tendance à régulièrement vider le contenu de leur estomac les premiers jours. D’autant plus que, dans le cas du mal de mer, l’oreille interne détecte un certain mouvement, mais dans l’espace, elle détecte un mouvement absolument chaotique. Assez rapidement, le cerveau comprend que l’information renvoyée par l’oreille interne n’est pas pertinente, et filtre ces données. Et les astronautes apprennent à éviter les mouvements brusques, notamment les mouvements de la tête. Cela diminue fortement la fréquence des vidanges de l’estomac.

Un dangereux surplus de radiations

Le corps humain subit de nombreuses modifications dans l’espace, plus ou moins réversibles. La liste est très longue, et il n’est absolument pas question de lister chacune de ces modifications. Une dernière mérite néanmoins qu’on s’y arrête. Le Soleil bombarde en permanence la Terre de rayonnements. L’atmosphère et la magnétosphère sont en mesure d’en bloquer la très grande majorité, permettant ainsi à la vie de continuer à se développer. Avec l’altitude, l’atmosphère se raréfie et l’intensité de la magnétosphère change, offrant de moins en moins de protection face à ces rayonnements. Ainsi, en avion, à 10km d’altitude, la magnétosphère protège toujours les hommes, mais l’atmosphère est moins dense et l’on est plus irradié qu’au sol. La différence est en revanche minime étant donné la faible altitude et le temps passé à cette altitude.

Magnetosphere
La magnétosphère terrestre nous protège d’une partie du rayonnement solaire, hautement dangereux pour l’homme. Crédits : NASA

A 400km d’altitude, l’altitude moyenne de la station spatiale internationale, on se trouve toujours dans la magnétosphère. Mais l’atmosphère y est inexistante, et durant un séjour de 6 mois, les astronautes reçoivent beaucoup plus de radiations que les individus sur Terre. Et cela a des conséquences assez importantes sur leur santé, les radiations ayant un lien direct avec l’apparition de cancers. Pour les astronautes, cette exposition aux radiations à un impact assez fort. Aujourd’hui, on estime qu’un individu lambda a environ 20% de chances de mourir d’un cancer. En raison des doses de radiation élevées reçues en orbite, les astronautes voient ce chiffre passer, pour eux, aux alentours de 25%.

Le corps humain est une machine extrêmement performante et remarquable… sur Terre. Mais en l’absence de la gravité terrestre, en l’absence de la protection qu’offre notre planète, l’homme subit des changements assez importants, qui montrent ses limites. Développer le tourisme spatial en orbite, développer une colonie sur la Lune, qui a une gravité six fois inférieure à la gravité terrestre et qui n’a pas d’atmosphère, ou bien entreprendre un voyage de 5 mois vers Mars, sans aucune protection contre le rayonnement solaire et sans aucune gravité, tout cela modifiera profondément le corps des astronautes qui vivront ces aventures. Ces modifications ne seront peut-être pas compatibles avec la survie des astronautes : il est donc essentiel de tenter de mieux comprendre ces modifications. Quelles sont leurs causes ? Dans quelles mesures ont-elles lieu ? Est-il possible de contrer ces effets ? Autant de questions auxquelles il faudra répondre avant que ces projets ne deviennent réalité.

Image de couverture : Chris Handfield durant son séjour dans l’ISS. Crédits : NASA

Cet article a été fortement inspiré par le mardi de l’espace de Janvier 2017. Merci aux intervenants et bien entendu au CNES pour l’organisation de cet évènement !

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