Mercredi 19 octobre 2016, l’agence spatiale européenne (ESA) diffusait en direct l’atterrissage de sa sonde Schiaparelli sur Mars. Il était possible de suivre ce qu’il se passait au centre européen d’opérations spatiales (ESOC). Mais tout ne s’est pas déroulé comme prévu et vendredi 21 octobre, l’ESA annonçait que Schiaparelli n’avait pas survécu à la manœuvre. Cependant, il convient de voir ce que cet échec peut apporter pour le futur.
ExoMars : une coopération scientifique entre l’Europe et la Russie
Il semble l’année 2016 soit une année particulièrement tournée vers la planète rouge. Mi-octobre 2016, la première phase de la mission ExoMars est arrivée au moment crucial : la mise en orbite d’un nouveau satellite martien, et le largage d’un module sur la planète. La mission ExoMars est une mission menée par l’ESA en collaboration avec Roscosmos, l’agence spatiale Russe. Cette mission est découpée en deux phases, ExoMars 2016 dont on entend parler actuellement, et ExoMars 2020. Cette seconde phase envisage d’envoyer sur Mars une plateforme d’atterrissage russe et un rover européen. Ce partenariat entre l’ESA et Roscosmos fait suite à un projet initial entre la NASA et l’ESA, duquel la NASA s’est détaché pour des raisons de restrictions budgétaires : face aux coûts d’une telle mission, l’agence européenne a cherché à se rapprocher d’une autre agence spatiale, et s’est tourné vers son équivalent russe.

L’objectif de la première phase était de mettre en orbite le satellite Trace Gas Orbiter (TGO), un orbiteur pour la détection de gaz à l’état de traces, ainsi que le largage d’un module d’entrée, de descente et d’atterrissage (EDM), appelé Schiaparelli. Les deux éléments ont été envoyés le 14 mars 2016 depuis Baïkonour, à bord d’une fusée russe Proton. Le décollage s’est déroulé sans encombre, et après un voyage de sept mois, le satellite est arrivé à destination. Le 16 Octobre 2016, le satellite a largué l’EDM et s’est préparé à sa mise sur l’orbite martienne. Le 19 Octobre, vers 16h, l’EDM a pénétré l’atmosphère martienne. L’ESA a suivi les évènements en captant le signal émis par Schiaparelli, reçu par le radiotélescope de Pune, en Inde, environ 10 minutes après l’émission.
Mercredi 19 Octobre : les premiers doutes se font sentir
Une retransmission en direct du centre européen d’opérations spatiales est diffusée sur internet, pour permettre aux passionnés et aux curieux de suivre l’évènement. Schiaparelli est entré dans l’atmosphère martienne a une vitesse approximative de 21 000 km/h, et la phase d’atterrissage devait durer un peu moins de 6 minutes. Pour supporter la température élevée d’une telle descente, le module était enfermé dans un bouclier thermique, constitués de deux morceaux : le premier, situé sous le module et étant le premier à être largué, et le second, sur le dessus du module, étant attaché au parachute. Le signal radio a été capté jusqu’à quelques instants avant l’horaire prévu pour l’atterrissage. Puis plus rien.

A ce moment-là, il était encore trop tôt pour conclure sur le sort du module. Étant donnée la puissance du signal, il n’était pas exclu que le signal ait été perdu. Les orbites des satellites déjà en orbite autour du Mars (MarsExpress de l’ESA ainsi que deux satellites de la NASA, MRO et MAVAN) avaient été prévues pour pouvoir réceptionner les données et les transmettre à Pune, données qu’il faut ensuite analyser. De son côté, le TGO s’est mis en orbite correctement et a entamé sa mission prévue pour durer 4 ans. Il s’agit donc là d’une grande réussite pour l’ESA, qui met ainsi son deuxième satellite en orbite martienne et entend désormais analyser l’environnement martien, à la recherche notamment de traces pouvant indiquer une vie sur la planète rouge.

Mais les heures passant, l’ESA était de moins en moins optimiste quant au sort de Schiaparelli. Les premières données traitées semblaient indiquer que la descente s’était dans un premier temps passé exactement comme prévu, avec l’ouverture du parachute et l’éjection du bouclier thermique avant. Mais l’éjection du bouclier arrière, et donc du parachute, aurait eu lieu trop tôt. De plus, les rétro-fusées du module, censées le ralentir davantage, n’auraient fonctionné que 4 secondes au lieu des 30 prévues. Le module, qui aurait dû faire une chute libre de 4m (et qui était prévu pour y résister), en aurait fait une de 2 à 4 kilomètres, et aurait percuté le sol à plus de 300km/h. Des conditions pour lesquelles il n’était pas prévu. De plus, la trop courte durée d’allumage des rétro-fusée n’a pas pu consommer tout le carburant, et le module a ainsi pu exploser au moment de l’atterrissage. Une hypothèse renforcée par les photos prise par le satellite MRO, qui montre ce qui pourrait être le point d’impact, à quelques kilomètres de ce qui semble être le parachute. Thierry Blancquart, responsable de l’atterrisseur, a d’ailleurs commenté ces photos en précisant que la tâche noire, potentiel point d’impact de Schiaparelli, « est plus grande que si Schiaparelli était en un seul morceau. Il s’est donc cassé ».

La difficulté de la phase d’atterrissage
Ce bilan fait douloureusement écho à la mission Mars Express de l’ESA en 2003. L’agence européenne avait en effet réussi à mettre en orbite son satellite Mars Express, toujours actif, mais l’atterrissage du module Beagle 2 s’était aussi soldé par un échec. Un autre atterrissage vient naturellement en tête : Philae. Là encore, la mise sur orbite de Rosetta s’était déroulée sans problème, mais l’atterrisseur avait rebondi suite au dysfonctionnement de certains mécanismes (plus d’informations sur cette mission ici). Un schéma qui semble se répéter, comme si une certaine malédiction pesait sur l’agence européenne. Et qui occulte les succès de l’ESA. En effet, dans le cas de Rosetta, Philae, malgré l’atterrissage, a rempli une partie de ses objectifs, et Rosetta s’était mis en orbite conformément au plan.
Concernant Schiaparelli, on ressent comme une impression d’échec pour la mission ExoMars. En réalité, au niveau des objectifs, le plus intéressant était la mise en orbite du TGO et la réception des données de Schiaparelli, et ces deux points ont été remplis. Avec une mission prévue pour 4 ans, TGO est en effet une source de données énorme et sa mise en orbite est un véritable succès. Schiaparelli devait quant à lui tester le système d’atterrissage. Quelques instruments scientifiques avaient aussi été embarqués, pour une durée de fonctionnement estimée entre trois et dix jours, le module fonctionnant uniquement sur batterie. Si ces mesures ne pourront pas être effectuées, les données recueillies pendant la phase d’atterrissage vont permettre d’étudier en détail ce qu’il s’est réellement passé pour identifier les problèmes et ainsi les résoudre rapidement. L’échec n’est donc pas total, comme on pourrait le penser initialement : le module n’avait pas vocation à fonctionner des années. Il n’empêche qu’en raison de cet échec, les États-Unis maintiennent leur suprématie sur Mars, et restent le seul état à avoir posé avec succès un module sur Mars et avoir réussi à le faire fonctionner.

Cette expérience ne remet pas en cause la suite du programme ExoMars, dont la prochaine étape est pour 2020. En revanche, elle démontre une nouvelle fois un élément essentiel : la phase d’atterrissage est particulièrement complexe et ne doit pas être négligée. Sur un sol inconnu et qui n’est pas prévu pour l’atterrissage de modules humains, les chances d’échec ne sont pas négligeables. Une conclusion qui pourrait potentiellement ralentir les projets visant à envoyer des hommes sur Mars. Échouer à poser un module de 300 kg dont la durée de vie prévue était d’une dizaine de jours est une chose, échouer à poser une navette comme celle qu’envisage Elon Musk, contenant une centaine de personnes, en est une autre. Il est donc nécessaire de bien considérer les risques, et de ne pas être téméraire, tout en restant ambitieux et désireux de repousser les limites de l’exploration. Un dilemme qu’il va falloir rapidement résoudre.