L’année 2016 appartient désormais au passé. Elle a été marquée par de nombreuses avancées dans le domaine spatial : découverte d’une exoplanète dans la zone habitable de l’étoile la plus proche de notre soleil, autorisation de la première société privée à exploiter les ressources spatiales, annonce d’un voyage vers Mars comme objectif officiel de la NASA, etc. Il faut maintenant espérer que 2017 apporte au moins autant de bonnes nouvelles spatiales. Et en 2016, la NASA a aussi publié une photo de notre planète qui devrait rester longtemps dans les annales. Cette photo, prise par la caméra EPIC, montre la Lune passer devant la Terre.
Un premier cliché de la Terre vu depuis l’espace il y a 70 ans
Très rapidement, avec les premiers envois de fusée, les scientifiques ont tenté de voir à quoi pouvait bien ressembler notre planète. Les premiers hommes à embarquer à bord d’une montgolfière ont pu observer la Terre comme personne avant eux. Puis, avec les débuts de l’aéronautique, les hommes ont pu voir leur planète depuis plusieurs kilomètres de haut et ainsi prendre conscience de l’immensité de leur lieu de vie. Mais avec les premières fusées, les scientifiques ont alors eu l’opportunité de voir la Terre depuis l’espace. Et il n’a pas fallu longtemps pour voir arriver le premier cliché.

Après la seconde guerre mondiale, les américains ont mis la main sur un stock de missiles V-2 allemands, qu’ils ont modifié pour en faire les premières fusées spatiales. Le premier lancement a lieu le 16 avril 1946. Les États-Unis effectuent ensuite environ deux lancements par mois jusqu’à épuisement du stock de missiles modifiés. Et le 24 octobre 1946, il y a à peine plus de 70 ans, la première photo de la Terre prise depuis l’espace parvient aux scientifiques américains. Une caméra est embarquée à bord d’une fusée, et à un peu plus de 100 kilomètres d’altitude, elle prend plusieurs clichés en noir et blanc. La fusée s’écrase dans le Nouveau-Mexique, explosant la caméra. Mais la cassette contenant le film photo était protégée et survit au crash. Les scientifiques, euphoriques, récupèrent le film, et développent une série de clichés historiques. Pour la première fois, l’homme peut voir à quoi ressemble sa planète depuis l’espace.

Le programme Apollo et ses photographies historiques
Après ces premières photos suivront de nombreuses autres, prises durant les multiples missions spatiales des différentes agences. La vue de la Terre depuis l’espace est probablement l’une des plus belles choses qu’il puisse être donné de voir. Notamment, au-delà de la simple vision d’une planète, le fait qu’il s’agisse du lieu d’origine de la personne qui contemple la Terre a probablement un fort impact psychologique. Les astronautes ne se lassent apparemment pas de voir la Terre depuis l’espace. Edward H. White est le premier américain à avoir effectué une sortie dans l’espace lors de la mission Gemini 4. Il a eu l’opportunité de prendre plusieurs photographies de la Terre durant cette sortie. Avoir l’occasion de voir la planète bleue a été selon lui une expérience particulièrement agréable, à tel point qu’au moment de retourner dans le module spatial, il a prononcé cette phrase désormais célèbre : « It’s the saddest moment of my life » (C’est l’instant le plus triste de ma vie).

Le programme Apollo, qui fait suite au programme Gemini, a permis de voir revenir sur Terre des clichés sensationnels, aujourd’hui historiques et mondialement connus. Deux sont particulièrement célèbres aujourd’hui. Le premier est une photo d’un lever de Terre, pris depuis la Lune, lors de la mission Apollo 8, en 1968. Il ne s’agit pas de la première photo d’un lever de Terre depuis le satellite terrestre, qui avait été prise en noir et blanc deux ans auparavant depuis la sonde Lunar Orbiter 1. En couleur, cette photographie montre la Terre partiellement éclairée, au-dessus du sol lunaire. L’équipage de la mission Apollo 11 enregistrera un film d’un lever de Terre sur la Lune, mais c’est bien le cliché d’Andrew Williams en 1968 qui entrera dans l’histoire, sobrement appelé Earthrise (Lever de Terre).

Le 7 décembre 1972, l’équipage d’Apollo 17 s’envole vers la Lune pour ce qui sera à ce jour la dernière mission humaine vers le satellite terrestre. La trajectoire du module permettra de prendre une des images les plus reproduites de l’histoire : Blue Marble. En effet, le module Apollo est pratiquement passé entre la Terre et le Soleil, permettant de photographier la planète bleue sur sa face entièrement éclairée. Il existait à l’époque très peu de photographies entières de la Terre illuminée. L’autre particularité de ce cliché est qu’il a permis aux astronautes d’Apollo 17 de photographier le pôle Sud, malgré le fait qu’il soit masqué par un ciel nuageux. Le résultat est tout simplement bluffant. Il est peu évident de prendre conscience de la réalité représentée visuellement. Pour la première fois, un être humain capturait notre planète en la montrant entièrement illuminée. Cette photo permet à l’humanité de voir la beauté terrestre dans son intégralité, et sans retouches. La NASA publiera d’autres clichés de la Terre entièrement illuminée, notamment une série appelée elle aussi Blue Marble, en 2002, mais la majorité seront des collages de plusieurs clichés, retouchés, pour un rendu certes réaliste, mais non réel…

EPIC : un observatoire spatial pour des clichés sensationnels
Ce manque de photos réelles de la Terre entière dure jusqu’en 2015, où le satellite DSCOVR envoi le premier cliché pris grâce à sa caméra embarquée, EPIC. Ce satellite a été envoyé en février 2015 et a atteint avec succès la position prévue en juin 2015. Le satellite décrit une orbite de Lissajous autour du point de Lagrange L1. Il convient de passer quelques lignes pour expliquer, assez brièvement, ce que cela veut dire.
Considérons deux objets massifs, il s’agira ici de la Terre et du Soleil. Si l’on ne considère que la gravité comme force, il existe cinq positions en lesquelles un troisième objet reste stable par rapport aux deux objets massifs. Ces positions spécifiques sont appelées points de Lagrange : elles sont au nombre de cinq, nommées L1 à L5. Pour le cas Terre-Soleil par exemple, le point L3 est le symétrique de la Terre par rapport au Soleil. Le point L1 est situé entre la Terre et le Soleil, approximativement à 1,5 million de kilomètres de la Terre (la distance Terre-Soleil vaut environ 150 millions de kilomètres). Le point L2 est le symétrique du point L1 par rapport à la Terre. Une orbite de Lissajous est une trajectoire qui permet en théorie d’orbiter autour d’un point de Lagrange sans utiliser de carburant. Pour le couple Terre-Soleil, le point L1 est dynamiquement instable et impose donc une certaine dépense en carburant malgré tout.
Placer un satellite d’observation à cette position a un avantage considérable : il voit en permanence la Terre entièrement éclairée, ce qui facilite de nombreuses études. Le satellite DSCOVR (pour Deep Space Climate Observatory) permet de surveiller plusieurs éléments liés au climat, tels que les niveaux d’ozone dans l’atmosphère, les nuages ou encore les propriétés des sols terrestres. Pour cela, il embarque une caméra, nommée EPIC (Earth Polychromatic Imaging Camera), qui capture l’image terrestre dans 10 longueurs d’onde différentes, propres aux paramètres observés. En recombinant certaines images prises aux longueurs d’onde correspondant aux lumières rouge, bleue et verte, les scientifiques sont en mesure de fournir une image en couleurs de la face illuminée de la Terre. Le 6 juillet 2015, le satellite envoi à la Terre son premier cliché. Et l’émotion qu’avait pu susciter Blue Marble reparaît.

Et la Lune s’invite sur les photos
Depuis ce premier cliché, DSCOVR a envoyé de très nombreuses photos à la Terre. A sa position depuis un an et demi, le satellite a permis grâce à ses clichés une meilleure compréhension du climat terrestre. Et, durant ce même laps de temps, il aura pu photographier quelques évènements exceptionnels. En 2015, la Lune fait une apparition remarquée. Dès le 16 juillet 2015, la Lune passe entre le satellite et la Terre, permettant à EPIC de photographier la face cachée de la Lune, éclairée, devant une Terre illuminée.

Ce cliché est tout simplement sensationnel, et met en relation la Terre et son unique satellite naturel dans une configuration formidable. Il est là encore extrêmement difficile de réaliser l’ampleur du cliché, d’être en mesure de prendre conscience qu’il s’agit de notre planète, vue depuis l’espace, avec la Lune. Nous sommes tous situés sur cette sphère bleue, le Lune est la même que nous voyons toutes les nuits. Voilà une photographie qui permet de relativiser sur notre place dans l’Univers. Il ne s’agit pas d’une simple photographie d’un ciel étoilé, témoin de l’immensité de l’Univers. Il ne s’agit pas d’une photo de la Terre depuis Mars, qui nous montre notre insignifiance au regard de ce même Univers. Il s’agit d’une photo de l’humanité dans son intégralité, à une échelle qui frôle la limite de notre compréhension. Ni étouffés par la gigantesque taille de notre Univers, ni ratatiné par la taille ridicule qu’y a notre planète, nous sommes confrontés là à ce que représente réellement notre planète et l’humanité qui la compose. La présence de la Lune, gardienne invétérée des nuits terrestres, corps céleste indissociable de notre planète bleue, donne une échelle de la taille que nous pouvons représenter, et nous rappelle la complexité qui règne dans l’Univers. Semblables par la forme, mais radicalement différentes par l’apparence, la Terre et la Lune montrent sur ce cliché l’unicité, et ainsi la beauté, qu’est la Terre.
Et en 2016, elle se fait plus discrète, pour des clichés tout aussi remarquables
Début juillet 2016, une série de clichés similaires sera à nouveau capturée par DSCOVR, moins d’un an après les premiers clichés montrant la Lune. Mais l’apparition de la Lune la plus remarquée de 2016 sur les photographies EPIC est en réalité beaucoup plus subtile. En effet, la Lune n’apparaît pas directement, mais se dévoile d’une autre façon. En mars 2016, le satellite a pu capturer une éclipse solaire. La Lune s’est positionnée entre le Soleil et la Terre, et le satellite DSCOVR a pu photographier l’ombre de la Lune, sans que celle-ci n’apparaisse sur les photographies du fait de sa position. Sur la série photographiée, on peut donc voir l’ombre de la Lune passer au-dessus de l’Indonésie, et survoler le Pacifique. Là encore, le spectacle est à couper le souffle. Il s’agit probablement des premières images capturant une éclipse solaire intégrale depuis l’espace. Reste désormais à espérer que 2017 continuera d’apporter des clichés aussi sensationnels. Et que, plus généralement, le domaine spatial avancera toujours aussi bien. Car les projets prévus pour l’année qui arrive, s’ils se réalisent, devraient continuer du transmettre de nombreux rêves à tous.

Image de couverture : Photo de la Terre plongée dans la nuit. Cliché issu de la série Black Marble, nommé ainsi en référence à la série Blue Marble – Crédits : Copyright 2013 JMA/EUMETSAT