Trump lance sa course à la Lune, sans tenir compte du passé

Le 11 décembre 2017 marquait les 45 ans de l’alunissage de la dernière mission du programme Apollo : cela reste la dernière fois que l’homme a marché sur la Lune. En cette date anniversaire, Donald Trump a annoncé son ambition d’y renvoyer des astronautes. Et ce genre d’annonce est plus néfaste qu’autre chose…

Apollo : le projet d’un homme, le succès d’une nation

Pour les États-Unis, la conquête spatiale commence relativement mal. Embarqués dans plusieurs programmes spatiaux distincts, ils peinent à trouver leur rythme, et les soviétiques parviennent plus rapidement à faire tomber les obstacles : premier satellite, premier être vivant en orbite… Les succès s’enchaînent, et les américains prennent du retard. Dans un contexte de Guerre Froide, c’est un coup extrêmement dur pour l’ensemble du bloc capitaliste. Les américains sont à la traine en permanence, et cela commence à être assez mal vu au sein du pays.

Le 12 avril 1961, les soviétiques brisent une nouvelle frontière, et pas des moindres : ils envoient le premier homme dans l’espace. Youri Gagarine devient une icône nationale, et l’URSS montre à nouveau qui dirige la course à l’espace. Les américains enverront Alan Shepard un peu moins d’un mois plus tard, pour un vol suborbital de 15 minutes, là où Gagarine avait effectuée une orbite terrestre en un peu plus d’une heure trente de vol. Et seulement 20 jours après le vol d’Alan Shepard, le 25 mai 1961, John F. Kennedy annonce devant le Congrès le lancement du programme Apollo, qui vise à faire marcher un homme sur la Lune avant la fin de la décennie.

Kennedy
John F. Kennedy, le 12 septembre 1962, à l’Université de Rice, où Kennedy prononce son célèbre discours We choose to go to the Moon. Crédits : NASA

C’est une annonce absolument démentielle, qu’il faut bien remettre dans son contexte ! Le 5 mai 1961, le premier américain est envoyé dans l’espace. Il fait un vol d’une quinzaine de minutes, qui l’emmène à une altitude d’environ 180 km et lui fait vivre 3 minutes d’impesanteur. Dans le reste du monde, un homme a volé 1h et 48 minutes, a effectué une orbite autour de la Terre et a atteint une altitude de 315 km. Et c’est tout. Le premier satellite placé en orbite, Spoutnik, l’a été en 1957 par les soviétiques. Il aura fallu 4 ans pour passer d’un satellite en orbite à un homme, à 300 km d’altitude. Kennedy annonce qu’il faudra moins de 9 ans pour qu’un américain effectue un voyage de plus de 380 000 kilomètres, pendant plusieurs jours. C’est absolument hallucinant, et totalement irréalisable. C’est purement et simplement une démonstration de force que veut faire Kennedy. Et le 21 juillet 1969, Neil Armstrong pose le pied sur la surface lunaire.

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Buzz Aldrin, 2ème homme à marcher sur la Lune, photographié par Neil Armstrong. Crédits : NASA/Neil Armstrong

Une mise en œuvre colossale

Comme souvent dans le monde, il est possible d’accomplir des miracles, si tant est qu’on soit prêt à y mettre le prix. Et c’est exactement ce que font les Etats-Unis après l’annonce de Kennedy. L’objectif est clair : poser un pied sur la Lune avant 1970. Et il n’y a pratiquement pas de contrainte budgétaire pour y parvenir. C’est une question de crédibilité face au reste du monde. C’est une question de prestige qu’il faut regagner après avoir été second en matière de conquête spatiale. Il faut réussir à tout prix.

Pour bien prendre conscience de l’investissement qui est fait, il suffit de regarder les chiffres, qui sont beaucoup plus parlants. Le premier satellite américain, Explorer 1, est envoyé en 1958 : à l’époque, le budget de la NASA représente environ 0.1% du budget fédéral américain. L’année suivante, en 1959, les 7 premiers astronautes américains sont recrutés : le budget de la NASA s’élève à 0.2%. En 1961, Le premier américain est envoyé dans l’espace, ainsi que le deuxième : le budget de la NASA a grimpé à un peu moins de 1% du budget fédéral. A son apogée, en 1967, le budget de la NASA s’est envolé près de 4.5% du budget fédéral. Cette année, le gros du développement est fait, puisque la Saturn V a pris forme et a effectué son premier vol. La part du budget engloutie par la NASA diminue progressivement, mais reste élevée puisqu’en 1970, elle représente encore près de 2%. En tout, le programme Apollo aura coûté l’équivalent aujourd’hui de 166 milliards de dollars, et mobilisé plus de 400 000 personnes !

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Évolution du budget de la NASA, en pourcentage du budget fédéral américain, dans le temps. Crédits : Wikipédia, d’après les chiffres de la NASA

Mais l’exploit est réalisé, l’homme a marché sur la Lune, les Etats-Unis ont validé l’objectif démentiel de 1961, ils ont coiffés les soviétiques au poteau et continuent de diminuer fortement le budget. Les dernières missions Apollo sont annulées, et de 1974 à 1994 environ, le budget de la NASA ne variera que peu, proportionnellement au budget fédéral, oscillant autour de 1%. Ce pourcentage sera ensuite régulièrement réduit, pour atteindre aujourd’hui le niveau de 1960, soit environ 0.5%. Un chiffre qui représente à lui seul l’échec lunaire.

Apollo : l’échec derrière la réussite

Le programme Apollo est très particulier, en cela qu’il s’agit à la fois d’un exploit auquel il est difficile de rendre justice en quelques lignes, et d’un échec retentissant… le programme Apollo, ce n’est pas juste Neil Armstrong et Buzz Aldrin dépliant un drapeau sur la Lune : c’est un programme complet, de plusieurs missions, ayant nécessité un long processus de développement en amont. Et ce processus a permis d’aboutir à l’exploit que l’on connait tous : Apollo 11, un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. Mais le programme ne s’est pas terminé lorsque la capsule a touché l’océan le 24 juillet 1969. En effet, six autres missions décolleront pour la Lune, et si Apollo 13 a dû rentrer sur Terre sans poser le pied sur la Lune, dix autres astronautes ont foulé le régolithe lunaire.

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L’équipage d’Apollo 17, dernier équipage à partir pour la Lune. Au premier rang, accroupi, Eugene Cernan. A gauche, Harrison Schmitt, qui marchera sur la Lune. A droite, Ronald Evans, qui restera en orbite lunaire. Crédits : NASA

Mais la démonstration de force a eu lieu, les budgets sont réduits, et le nombre de mission Apollo est réduit : Apollo 17 sera la dernière mission du programme. Ensuite, la NASA se focalisera sur d’autres objectifs. Et c’est là qu’est l’échec d’Apollo : ne pas avoir su gérer l’après des premiers pas. De ne pas avoir poussé l’exploit plus loin d’une part, mais surtout, d’avoir reculé. D’avoir laissé tomber la Lune. C’est d’ailleurs ce qu’à toujours pensé Eugene Cernan, commandant d’Apollo 17 et dernier homme à avoir marché sur la Lune. Il est d’ailleurs décédé en janvier 2017 : les 45 ans de la mission Apollo 17 marquent aussi la première fois que l’on fête l’alunissage de la mission sans lui. Il s’est battu toute sa vie pour que le grand public reste fasciné par l’exploration spatiale, et pour qu’enfin une mission lui retire son titre de dernier homme à avoir marché sur la Lune. Il est malheureusement mort avant d’avoir vu ce jour. Quelques mois avant de mourir, il disait encore à propos de sa mission : « Je pensais sincèrement que ce n’était pas une fin mais un début » (« I honestly believed it wasn’t the end but the beginning« ).

Bob, this is Gene, and I’m on the surface; and, as I take man’s last step from the surface, back home for some time to come – but we believe not too long into the future – I’d like to just (say) what I believe history will record: that America’s challenge of today has forged man’s destiny of tomorrow. And, as we leave the Moon at Taurus–Littrow, we leave as we came and, God willing, as we shall return, with peace and hope for all mankind. Godspeed the crew of Apollo 17.

Eugene Cernan – en remontant dans le module Challenger après avoir foulé pour la dernière fois le sol de la Lune

GeneCernan
Le 13 septembre 2012, Eugene Cernan, dernier homme à avoir marché sur la Lune, rendant hommage à Neil Armstrong, premier homme à marcher sur la Lune, lors de la cérémonie en sa mémoire. Crédits : NASA/Bill Ingalls

L’impossibilité des américains à retourner sur la Lune

Les missions Apollo sont un peu le saint Graal des politiques américains. Il s’agit de d’une annonce grandiloquente d’un projet complètement fou et irréalisable, pour démontrer au reste du monde la puissance et la grandeur des États-Unis. C’est un projet qui a permis de fédérer le pays tout entier derrière une cause commune, un projet qui a su dynamiser le pays et être un moteur incroyable, en terme de recherche scientifique, de rayonnement mondial et de création d’emplois. Au delà de ça, c’est un projet qui, en cas de réussite, garantissait à Kennedy une place au Panthéon des plus grands dirigeants américains. Aujourd’hui, un centre spatial porte son nom : le Kennedy Space Center. La Lune est donc un objectif qui fait rêver les politiques, offrant à coup sûr une place de marque dans les livres d’histoire américains, et même dans le monde entier.

Deux présidents s’étaient déjà risqués à garantir qu’un astronaute américain retournerait sur la Lune suite au programme qu’ils lançaient. Il s’agit en premier lieu de George H. W. Bush, qui a lancé la Space Exploration Initiative le 20 juillet 1989, pour l’anniversaire des 20 ans des premiers pas sur la Lune. Cet objectif est supprimé sous son sucesseur, Bill Clinton, jugeant le projet trop cher. Le deuxième président à lancer un tel programme est George W. Bush, avec le programme Constellation, débuté en 2004. Là encore, son successeur, Barack Obama, y mettra fin, en 2010. Le programme est beaucoup trop cher, il est inconcevable d’augmenter à foison le budget de la NASA, comme dans les années 60, et un tel programme sur des dizaines d’années n’a pas grand sens : le budget est alloué à d’autres missions, moins couteuses et aux retombées scientifiques plus rapides et plus nombreuses.

Ces deux programmes sont extrêmement similaires. Tout d’abord, les deux veulent à tout prix éviter l’échec d’Apollo, et envisagent donc de s’installer plus durablement sur la Lune. Et bien entendu, les deux programmes parlent d’aller encore plus loin : vers Mars. Voilà déjà deux fois qu’un président américain lance en grande pompe un programme spatial ambitieux sans aucun moyen pour y parvenir. Sans lanceur lourd capable d’envoyer des hommes plus loin qu’en orbite basse (chose que la navette spatiale ne pouvait pas faire), la NASA avait tout à refaire… Beaucoup trop loin et couteux : les deux programmes ont donc été annulés. Cela montre l’importance d’un plan cohérent, abouti, infaillible, pour retourner sur la Lune. Un plan explicitant clairement comment financer le projet, en combien de temps, et pour quel(s) objectif(s). Après deux échecs, la prochaine annonce d’un retour sur la Lune ne pouvait pas être une recherche de gloire, de reconnaissance ou de soutien de la part d’un politique.

C’est pourtant ce que semble avoir fait Donald Trump, le jour des 45 ans du dernier alunissage. En ce lundi 11 décembre 2017, Donald Trump a signé la Space Policy Directive 1, la directive 1 sur la politique spatiale. Encore une fois, le contenu change très peu : les américains vont retourner sur la Lune. L’objectif est là encore de ne pas simplement se poser et repartir, mais d’y établir une base pérenne, pour ensuite viser Mars, voire plus loin. Et encore une fois, si les objectifs sont clairs, le budget qui va être alloué pour les atteindre l’est beaucoup moins… Et, si le contexte a changé depuis 2004, ce programme semble difficilement réalisable.

Un objectif difficilement réalisable

Depuis 2004, les choses ont un peu évolué pour les Etats-Unis : ils n’ont toujours aucun moyen de sortir de l’orbite basse, mais ils ont aussi perdu leur capacité à envoyer des hommes dans l’espace. Ils sont complètement dépendants des russes, qui ne peuvent pas non plus sortir de l’orbite basse. La NASA travaille malgré tout avec des société privées pour, à terme, avoir une capacité nationale d’envoi d’hommes dans l’espace. Mais ni SpaceX, ni Blue Origin, ne sont prêtes à envoyer des hommes vers la Lune. Le lanceur qui semble le plus proche est la Falcon Heavy de SpaceX, dont le premier lancement ne cesse d’être reporté. Il faut donc encore que la Falcon Heavy réussisse ses premiers vols, puis embarque une capsule avec des astronautes. De plus, si SpaceX a aujourd’hui une capsule Dragon pour le fret, modifiée pour y accueillir des astronautes, elle n’est absolument pas en mesure de se poser sur la Lune et d’en repartir. Quant aux délais qu’est capable de tenir SpaceX, comme toujours, il est assez difficile de se prononcer. Mais il est préférable de rester prudent : un voyage pour la Lune, avec alunissage, n’est pas pour si tôt.

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Vue d’artiste de la Falcon Heavy. Crédits : SpaceX

Du côté de la NASA, le développement de la capsule Orion et du lanceur SLS ne cesse de prendre du retard, et on imagine difficilement qu’ils puissent être utilisés pour aller sur la Lune et en revenir, puisque le module Orion ne peut pas décoller. Le premier vol de la capsule avec passager est prévu pour 2023. Même en étant très optimiste et si cette date est tenue, ce ne sera pas un vol pour la Lune, qui n’arrivera pas avant plusieurs années.

Au delà du manque de capacité à se poser sur la Lune pour en redécoller ensuite, un autre problème, financier, reste à résoudre. Ce genre de projet nécessite forcément une augmentation des budgets. Que ce soit pour le développement du SLS et d’une capsule pouvant se poser pour la NASA, ou bien le développement du super-vaisseau qu’Elon Musk compte utiliser pour l’exploration spatiale, le coût est exorbitant. D’autant plus que SpaceX ne travaille pas gratuitement, mais d’une part elle bénéficie de subventions de la NASA, et d’autre part la société fera sans doute payer au prix fort l’agence pour envoyer des astronautes vers la Lune ou vers Mars.

Et même en étant particulièrement optimiste, un léger détail reste absent : comment s’installer durablement sur la Lune. Parce que c’est bien un des objectifs de la nouvelle directive : ne pas revenir sur la Lune pour y laisser une empreinte, poser un drapeau et repartir, mais bien y rester. Or, cela nécessite de développer les technologies nécessaires à la vie sur la Lune : habitations, protection des vents solaires, production d’énergie, etc… Tout est encore à faire. Là encore, le budget pour développer ces technologies rapidement est faramineux, et le financement est un grand absent de la dernière déclaration du président des États-Unis.

En terme d’exploration spatiale, le temps de la grandeur des nations a laissé la place à celui de la coopération. Diplomatiquement parlant, tout le monde a à y gagner, et cela permet d’investir moins d’argent par état pour de plus grands résultats. L’ESA par exemple, prône depuis plusieurs années le projet de village lunaire, et la Chine a fait part de son intérêt pour le projet. Mais Donald Trump et son administration préfèrent faire cavalier seul, au risque, probablement, d’échouer, et d’apporter son lot de désillusion à tous ceux qui rêvent de (re)voir l’homme marcher sur la Lune…

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Vue d’artiste du village lunaire, projet de l’Agence Spatiale Européenne. Crédits : ESA/Foster + Partners

Crédits de l’image de couverture : NASA/Aubrey Gemignani

3 commentaires sur « Trump lance sa course à la Lune, sans tenir compte du passé »

  1. Bonjour,

    Je ne comprends pas la difficulté, en soi, d’aller sur la Lune.
    Dans le cadre du Google Lunar X Prize, et même en dehors, plusieurs entreprises semblent déterminées à aller sur la Lune (et devraient y arriver dans le courant 2018, d’autres ont planifié la chose pour 2019/2020).

    Les charges transportées ne sont pas les mêmes que celles impliquées par une mission humaine, mais nous avons une technologie nous permettant de contrôler à distance les machines pour les faire oeuvrer à notre place sur ce terrain hostile.

    Autre point qui m’interpelle : ne serait-il pas plus logique, dans le cadre d’un objectif de création d’un point relais/de ravitaillement, de créer cette dernière structure en orbite autour de la Lune, et non sur le sol lunaire?

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    1. Je suis tout à fait d’accord avec ces remarques : aller sur la Lune n’est pas extrêmement compliqué : les chinois y sont parvenus récemment par exemple.

      La difficulté consiste à y envoyer des hommes, parce que cela demande d’envoyer sur la Lune une masse absolument démente d’une part, et de prévoir un retour. Il faut donc emmener de quoi vivre, se poser et repartir. La complexité vient surtout de là. Il n’y a qu’à comparer les performances de la Saturn V par rapport aux autres lanceurs actuels pour bien en avoir conscience.

      Et Trump a bien prévu de poser des astronautes, et non des sondes, sur la Lune. Sans augmenter les budgets, ça me semble compliqué…

      En ce qui concerne le moyen de rester sur la Lune, la question se pose. Tout dépend de ce que l’on compte faire. Le plus simple est sans doute une station en orbite. Mais fouler la Lune permet de vivre « normalement », en gravité réduite, mais quand même… et les expériences possibles sont différentes. La question est, selon moi, ouverte.

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